Aubade à Abdelkader (blessé de la révolution)

Abdelkader, tu as l’âge d’être mon fils ou mon petit-fils, mais je te sens comme un petit frère à qui les grands du quartier ont fait du mal, et je voudrais te dire, toi qui ne peux pas parler, ce que tu es, pour moi, pour notre peuple, pour le monde même : en cette aube blafarde du vingt et unième siècle, au moment où tout nous semblait désespéré, où nous ne trouvions aucune lueur, tu es un de ceux qui nous ont montré que le soleil allait se lever, qui nous ont redonné confiance en l’humanité et en sa jeunesse, qui nous a dit qu’on pouvait construire un avenir de liberté et de dignité.

J’ai écrit, et je le maintiens, que cette révolution pour laquelle tu as laissé ta santé, pour laquelle tu étais prêt à mourir, m’a rendu un avenir alors que, au soir de ma vie, je croyais ne plus en avoir. Et je ne suis pas le seul. Nous sommes nombreux à vous devoir, à te devoir d’avoir encore envie de vivre, d’aimer, de regarder le monde avec le regard émerveillé des enfants. Et je ne parle pas de ceux qui te font du mal, de la non-reconnaissance, la non-assistance à la violence imbécile pour te faire taire : ils doivent tout à la révolution, eux qui n’étaient rien et qui sont devenus des grands, maîtres des services  à rendre et des coups qu’à leur tour ils peuvent distribuer. Ils sont comme ces parvenus qui veulent faire disparaître tout ce qui leur rappelle leur passé misérable, et surtout ceux à qui ils doivent d’en être sortis.

Eux des héros ? Que non, ils parlent le langage des victimes, réagissent comme des victimes qui ont une revanche à prendre et qui ne pouvant ou n’osant s’attaquer à leurs anciens bourreaux s’en prennent aux plus faibles, à  ceux qui savent pas se défendre contre ce genre d’attaques. Oh, vous n’étiez pas nés héros, vous non plus. L’héroïsme se découvre au moment d’affronter  plus grand, plus fort, plus armé, plus impitoyable que soi : alors, ceux qui ne reculent pas, ceux pour qui plus rien n’a d’importance que de rester debout, de tenir, de faire reculer l’ennemi, ceux-là deviennent des héros, tu es devenu un héros.

Abdelkader, mon fils, mon frère, mon camarade, pourquoi t’être cousu les lèvres, toi qui devrais ouvrir la bouche et crier fort très fort, pour réveiller tes frères assassinés, pour faire peur à ces pauvres marionnettes qui ne se rendent pas compte qu’en utilisant pour vous faire taire les hommes qui vous ont tués et blessés ils se rendent coupable de l’agression présente et complice des assassinats passés ? Permets-moi un conseil affectueux : ne tombe pas dans le piège qu’ils t’ont tendu, tu vaux mieux qu’eux, tu es la sève, la concrétisation de la mémoire de ce pays, tu en es l’avenir, tu es celui qui nous a ouvert la porte de cet avenir, tu ne dois pas te taire. Eux, ils ont beau vous avoir dépouillés, s’être posés en gardiens de cette révolution qu’ils disent servir, mais l’ont-ils même comprise ?, ils ont peur de toi, de vous et de ce que vous représentez.

Alors ne te tais pas ! Ne viens pas ajouter au mal qu’ils te font celui que tu t’infliges toi-même ! Découds cette bouche et laisse-la dire ce que tu es et ce qu’ils sont, dis-le haut et fort, parle en ton nom, à celui de ceux qui sont tombés, à celui de leurs famille, à celui de tous ceux qui ont combattu pour la dignité, la liberté et le pain et qui ne voient rien venir.

Que ta parole devienne un hymne repris par tou-te-s celles et ceux pour qui les mots dignité et liberté ont un sens, qu’elle les oblige à se taire pour entendre, qu’elle nous amène tous à te défendre, à te protéger : tu es le sel de notre terre, nous ne les laisserons pas continuer à te faire du mal.

Publié par Gilbert Naccache sur Facebook le 4/4/2012