La première parade de Doustourna: un visage ensoleillé de la Tunisie

Ce dimanche, pour la premièrefois de ma vie, j’ai marché pendant des heures, porté par le bonheur de ces magnifiques jeunes filles et jeunes gens, de ces moins jeunes, mais pas moins enthousiastes, qui découvraient simultanément, et comme si cela était naturel, comme si cela n’avait pas été impossible jusqu’ici, la joie de vivre et de lutter, de marcher en souriant, joyeux et de s’adresser aux autres, à tous les autres que l’on rencontrait et de leur dire : « ne laissez personne penser pour vous, réfléchissez et décidez ce que vous voulez pour la Tunisie de demain.»  Dans d’autre pays, où les formes démocratiques font partie des mœurs, une double parade, comme celle organisée par la liste de candidats Doustourna, aurait été banale, mais jamais aussi chargée de sens. Chez nous, de La Goulette et de l’Aouina  à La Marsa, les deux groupes qui distribuaient des tracts, où chacun faisait une halte pour discuter avec les passants, qui arrêtaient voitures et taxi pour leur remettre leur message, ces deux groupes étaient étonnés et ravis de l’accueil: parfois une ombre de méfiance,  « quel parti politique représentez-vous ? », vite noyée dans un grand sourire, de soulagement et de joie « bon, vous êtes indépendants, tant mieux ».

Ils ne se rendaient pas compte, ces militantes et militants qui marchaient joyeusement sous le soleil, en ordre un peu approximatif, ils ne se rendaient pas compte que la force de leur projet, de leur démarche vers l’autre était multipliée par tout ce qui émanait d’eux : la joie, l’optimisme, la conviction, la solidarité, tout cela, et plus encore un sentiment bizarre, comme si on se trouvait devant des gens qui s’aimaient d’être là et de faire ce qu’ils faisaient, et qui s’aimaient les uns les autres d’être ensemble, libres et tournés vers l’avenir. C’est cela, ce qui émanait d’eux, qui faisait ralentir ou s’arrêter des automobilistes souriants, intéressés, et peut-être pour une fois heureux de parler avec ces gens qui, au milieu de la chaussée, gênaient un peu la circulation, mais leur parlaient gentiment, leur disaient «nous sommes du même peuple, luttons ensemble pour son avenir», les reconnaissaient en un mot, et toujours, ils leur souriaient en retour, les encourageant souvent, demandant des précisions…

Peu importe le nombre de tracts distribués (il y en a tout de même eu 20 000), le nombre de dialogues (beaucoup, énormément), rapides ou plus conséquents, qu’il y a eu en cette fin de matinée de dimanche : aucune entreprise spécialisée dans ce genre de travail, aucune équipe de ces professionnels engagés par certains à prix d’or pour « faire » leur campagne, n’aurait pu dégager tant de force, d’efficacité, d’expression d’abnégation et de foi dans leur projet que ces gens, en blanc pour la plupart, mais tous auréolés du bonheur de faire ensemble ce qui leur semblait devoir être fait. Je les regardais marcher ces êtres sans moyens financiers, mais si riches, si créatifs et si beaux, et je me disais « et si c’était la préfiguration de ce que sera notre société ? »

Il y aura d’autres parades, nous en ferons un peu partout,  d’autres tenteront de nous imiter. Je suis bien persuadé qu’aucun autre mouvement, aucun autre projet ne peut faire émerger des militants pareils, qui montreront encore et partout dans le pays qu’avoir avec soi de telles personnes rend infiniment plus riche que tout l’or du monde…

Publié sur Facebook le lundi 3 octobre 2011