Le chaos

A tous ceux qui veulent une transition pacifique avec l’ancien Etat et ses serviteurs

A tous ceux qui ont peur du chaos,

Je voudrais poser la question.

Qui nous menace du chaos aujourd’hui ? La mobilisation pacifique de ce peuple, de cette jeunesse sans esprit de vengeance et qui ne sont tombés dans aucun des pièges tendus par l’ancien régime ? Ces gens qui, malgré des semaines de manifestations durement réprimées, ne se sont jamais livré au pillage ou à la destruction aveugle ? Ces citoyens seulement munis de leur enthousiasme et de bâtons qui arrêtent des sbires de Ben Ali armés, et qui remet les sbires et leurs armes intacts à l’armée ? Ces gens accueillants qui continuent à dire aux étrangers « vous êtes ici chez vous » et n’ont pas eu une parole xénophobe ? Ces jeunes qui montrent au monde entier des Tunisiens qui ne se dévalorisent plus, qui s’aiment, se parlent, s’entraident, et continuent à se mobiliser. Où est-ce le corps des journalistes qui a su reprendre ses journaux, les faire paraître, qui donne enfin la parole aux tunisiens, qui fait son métier et qui en est fier pour la première fois en Tunisie ? Ou les avocats qui, ne supportant plus de ne pouvoir défendre leurs clients se sont mobilisés avec le peuple pour défendre le droit et la justice Ou les magistrats qui dénoncent et chassent ceux d’entre eux qui ont fait honte à la profession ? Ou les entrepreneurs qui nous disent qu’ils sont prêts, maintenant que les parasites ne les voleront plus impunément, à faire redémarrer l’économie, à lutter efficacement contre le chômage, à chercher investissements et marchés ? Ou encore les employés de banque qui nous montrent combien ce peuple a été volé et par qui, et, en mettant à la porte les dirigeants corrompus,se préparent à gérer les finances et l’argent de tous selon la loi ? Où les employés des compagnies d’assurance, des sociétés publiques et privées, de l’administration, tous mobilisés contre la corruption et les corrompus ? Ou encore les paysans, donnant une nouvelle fois l’exemple de la dignité, en ne demandant rien d’autre que le retour de ce dont on les a spoliés pour à nouveau arroser le terre de leur sueur et donner à manger au pays ? Ou les autres, tous les autres, travailleurs ou chômeurs avec ou sans diplôme, qui ont tous oublié leur personne pour réclamer pour tous ?

Ce dont nous menacent tous ces gens, s’est de vouloir que l’on pousse la révolution au bout, qu’on ne les dépossèdent pas des fruits de leurs luttes, ils ne pensent pas des fruits de leurs sacrifices, n’étaient-ils pas bien plus sacrifiés avant 2011 pour l’unique profit des scélérats et des rapaces.

Le chaos n’est-il pas plutôt l’état dans lequel se trouvait le pays, avec des lois qui n’étaient appliquées que pour réprimer, pour faire taire, pour terroriser, et qui n’existaient pas pour ceux qui, fort de leur position dans l’État, rackettaient, volaient terres, terrains, maisons, biens, ils volaient le peuple directement, énormément; ils volaient l’État auquel ils ne payaient pas d’impôts, ils volaient les douanes, dont les chefs fermaient les yeux sur leurs trafic, ils volaient les banques qui leur « prêtaient » de l’argent qui ne revenait jamais, ils volaient ceux à qui ils donnaient des chèques immanquablement impayés, ils volaient les sociétés nationales, détournaient des avions sans être accusés de terrorisme. N’ont-ils pas été jusqu’à voler un yacht en Corse ? Et il faudrait aussi parler de leurs activités relevant du grand banditisme, assassinats, trafics de drogue, proxénétisme, chantage et autres vilénies. Mais il y a tant de choses à dire, espérons que leurs victimes ne se tairont plus.

Et c’est pour garantir le passage de ce chaos à l’ordre que veulent toutes les couches du peuple qui n’ont pas profité de ce chaos que l’on voudrait garder à la direction du pays des gens dont le travail consistait, sinon à organiser le chaos, du moins à l’habiller avec élégance, pour qu’il puisse donner le change, oh, pas aux Tunisiens pour lesquels ils n’avaient que mépris, mais aux étrangers, les accueillant dans le pays, les installant dans des palaces, qui acceptaient leur argent tâché de sang, et les remerciaient de les protéger des hordes intégristes, de protéger la civilisation, quelle civilisation !

A tous ceux qui croient à juste titre qu’en démocratie, on n’a pas le droit d’exclure un parti qui se conforme aux lois de la justice et du respect des autres, demandons-leur de s’interroger : le RCD était-il un parti politique, l’est-il miraculeusement devenu après la révolution ? Ou plutôt, appelons-les à demander son avis au peuple, qui a vécu le règne du RCD, au quotidien : quand il y avait une démarche quelconque à faire, inscription à l’école d’un enfant, carte de soins, papiers d’identité, démarches auprès de l’administration, du tribunal, etc., le « responsable », non plutôt le caïd du RCD – il s’agissait plutôt de maffieux – demandait sa commission comme préalable, et un refus vous exposait à une dénonciation comme islamiste, terroriste, comploteur communiste ou pire encore ; le peuple voyait à tous les niveaux de la vie économique les destouriens détourner une part des richesses, obtenir la gestion de coopératives de commercialisation des produits agricoles, de vente de semence, de location de matériel, etc.

Le peuple, qui pourrait parler, et qui, on l’espère, parlera des exactions des nababs du RCD, ce peuple demande la dissolution de ce soi-disant parti. Il a tort. Il ignore que c’est contraire à la démocratie. Ou alors, il sait que la démocratie exige la dissolution du RCD, en tant qu’organisation de malfaiteurs visant des desseins criminels. Probablement, le peuple ne sait pas formuler sa revendication d’une façon légalement acceptable. Faisons-le pour lui, s’il nous le permet. Le RCD doit être suspendu, en raison des graves soupçons de détournements et de vols qui pèsent sur lui, en attendant que la justice voit si les poursuites et condamnations qu’elle infligera autorisent ou non la dissolution de ce parti, auquel on peut commencer par reprocher l’accaparement de biens de l’État, ceux-là dont l’actuel gouvernement provisoire, dirigé par l’ancien secrétaire général du RCD, vient d’ordonner la restitution à l’État.

Le chaos, dites-vous ? Le peuple pense que pour en sortir définitivement, il faut d’abord virer le RCD. Moi aussi.

publié par Gilbert Naccache sur Facebook  le 21 janvier 2011